Pour notre prospérité, nos universités doivent pouvoir attirer les meilleurs talents.
par les membres de la délégation académique :
Jean Luc De Meulemeester, professeur d’économie à la Solvay Brussels School of Economics and Management (ULB)
et
Pierre-Guillaume Méon, professeur d’économie à la Solvay Brussels School of Economics and Management (ULB)
lien vers l’article de la Libre
La Belgique est une petite économie ouverte, aujourd’hui dépourvue de ressources naturelles. Comme elle fait partie des pays les plus développés et riches – son PIB par habitant la place dans le top 20 mondial – le coût du travail y est élevé. La recherche de ces trente dernières années sur les déterminants de la croissance a montré comment l’innovation et l’éducation, l’enseignement supérieur en particulier, jouent un rôle central dans une économie qui, comme la nôtre, se trouve à proximité de la frontière technologique.
Concrètement, durant les Trente glorieuses, les pays européens étaient des pays d’imitation, relativement éloignés de la frontière technologique représentée par les Etats-Unis. Dans ce cadre, les politiques de participation massive à l’éducation secondaire menées jusqu’aux années 1960 étaient optimales. L’économie était demandeuse de qualifications moyennes. A partir des années 1970-80, les économies européennes ont réalisé leur rattrapage. Maintenant qu’elles sont à la frontière technologique, l’imitation n’y est plus pertinente. Ce sont les activités de recherche et développement, la recherche de pointe, qui permettent d’améliorer les conditions de vie. Ces activités exigent un niveau de compétence élevé.
C’est là que les universités jouent un rôle central en transmettant les connaissances et les compétences, en en développant de nouvelles et en permettant l’innovation par leurs activités de recherche. Ce n’est pas un hasard si c’est à la fin des années 1990 que les états européens ont entrepris d’adapter leurs systèmes d’enseignement supérieur par les réformes de Bologne. La Commission européenne, suivant les intuitions du rapport Sapir (2003), a voulu faire de l’Union européenne une économie de la connaissance compétitive et poussé les états membres à investir 3% de leur PIB dans la recherche. Ces objectifs n’ont malheureusement pas été atteints par tous les états. Aujourd’hui, le rapport Draghi constate le retard de l’UE sur les Etats-Unis en termes de revenu, de productivité et dans les nouvelles technologies.
Mais attention, les compétences scientifiques de premier plan sont rares et les pays du monde entier se les disputent. Nos universités ne produiront une recherche de qualité qu’en attirant et retenant les chercheuses et chercheurs les plus doués, dans un contexte où le parcours pour accéder à la profession est devenu particulièrement dur. Il passe par une longue période de formation pendant laquelle la mobilité internationale est centrale. Un candidat à un poste académique doit préparer sa thèse dans une institution prestigieuse pour obtenir son doctorat, accumuler les publications de premier plan et souvent enchainer des contrats postdoctoraux courts et précaires, typiquement à l’étranger. L’âge d’entrée dans la profession académique a augmenté, pour facilement atteindre le milieu de la trentaine voire la quarantaine. Les possibilités de cotiser à des caisses de retraite nationales sont limitées.
Or, pour passionnés par leur travail qu’ils soient, les chercheuses et les chercheurs sont des gens comme les autres. Ils réagissent aux offres qui leurs sont faites. Dans le domaine de la recherche, le choix est large et les avantages relatifs de chaque carrière sont soupesés par les candidats, pour choisir leur discipline, pour décider de rester dans la recherche ou de rejoindre le privé, et pour choisir leur université.
C’est dans ce cadre qu’il faut penser à la qualité et à l’attractivité de nos universités. C’est en proposant des conditions de recherche et d’enseignement favorables qu’on attirera les candidats. Et, si elles ne sont pas forcément le seul moteur des candidats, on ne peut nier le rôle des rémunérations. Les employeurs privés l’ont bien compris, qui mettent en place des politiques de GRH optimisées mêlant conditions de travail attractives, avantages en nature comme les voitures de société, et plans de rémunération et de retraite, auxquelles les académiques belges n’ont pas accès. C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer les spécificités des carrières académiques avec un statut tardif mais stable – la « tenure » – et une prise en compte accélérée des droits à la pension. Faute de refinancement de l’enseignement supérieur et si on devait davantage dégrader le système des pensions académiques déjà revu à la baisse en 2011, dans un pays où les académiques ne sont pas les mieux payés au plan international, on risquerait de voir les meilleurs cerveaux aller contribuer au développement des pays qui sauront se rendre attractifs ou envisager d’autres types de carrière moins porteurs de croissance économique sur le long terme. A moyen terme, nous en payerions toutes et tous les conséquences.